Lieu de transmission, l’école forme les designers de demain à des savoir-faire, mais elle doit aussi aiguiser leur esprit critique vis-à-vis des formes et des contextes de production de nos sociétés. Il s’agit donc, avec une approche interdisciplinaire, d’interroger les liens entre design et éthique, puis d’aborder le design graphique en tant qu’activité d’assemblage et générateur d’artefacts favorisant la cohésion sociale. C’est dans cette logique que nous confrontrons ici cette discipline aux pratiques plurielles de l’écriture (médias et espaces urbains).
Le design graphique comme « activité d’assemblage »
La notion d’assemblage confrontée à celle de design graphique peut être considérée de deux manières distinctes. En premier, elle peut être définie en tant que processus de création, d’ « action d’assembler, d’ajuster, de réunir[1] » . Elle peut être considérée également en tant qu’ « ensemble constitué d’éléments ajustés les uns aux autres [2]». Reliée à l’activité graphique, elle endosse des enjeux tant esthétiques que politiques. Plus précisément dans le métier du design graphique, l’assemblage est une fonction reliée à un projet éditorial. En effet, « faire assemblage » permet de réunir en un seul dossier la maquette éditoriale avec tous ses composants (link, textes, images, fonts). Grâce à cette fonction, le dossier peut être partagé, déplacé de son contexte, devenir un « objet migrateur[3] » potentiellement repris par d’autres. Il a un caractère évolutif et distribué.
Cette notion d’ « assemblage éditorial » me permet de renforcer l’importance accordée au statut de l’objet graphique pour façonner des relations sociales et créer des liens.
On pourrait encore choisir le terme de layout qui « témoigne de ce passage de la mise en page à la mise en espace[4] ». Les designers graphiques mettent en œuvre une multiplicité de systèmes d’écriture – objets éditoriaux, espaces urbains métissés – afin de rendre visibles des problématiques contextuelles. Les artefacts graphiques ont une fonction matérielle déterminante dans l’organisation du monde social. C’est toute une création qui sera pensée de manière « distribuée[5] », dans laquelle production rime avec expérience (Dewey, 1934). Ce sont alors des processus partagés, qui tentent de se libérer de la seule question de l’écriture individuelle promue par les institutions et reconnue dans l’histoire du design graphique. La question sous-jacente de la figure de l’auteur est posée par le prisme du projet.
L’objet graphique façonne les relations socio-politiques
C’est une expérience collective qui se définit par les signes graphiques, mais aussi dans l’organisation de ces derniers et par le partage d’une grammaire de langage de savoir et savoir-faire compréhensible par tous et donc fédératrice d’un « bien commun ». L’on pourrait alors affirmer que ce sont des médiums qui viennent concrétiser par une forme une situation problématisée et collective. Ils ont une fonction de « médiation visuelle », d’énonciation d’une activité commune située. Comme soulevé par Dieter Mersch (2018), « il y a des médias parce qu’il y a de l’altérité[6] » . Par leur fabrication en collectif, ils symbolisent une cohésion sociale autour d’une problématique spécifique. Ils en deviennent des « quasi-objets » qui stabilisent nos relations (Serres, 1982).
Penser des espaces, des situations habitables pour faire activité commune
Ce qu’on peut analyser aussi dans la notion d’assemblage éditorial », c’est la formation d’un espace de travail. Dans le cadre de l’enseignement des écoles, cela revient à concevoir des espaces – extérieurs, intérieurs, construits, publics, privés – dédiés à l’activité graphique partagée et à réfléchir aux relations et interactions avec ces milieux où l’activité se déploie (Zask, 2013). Ces constructions peuvent s’apparenter à des lieux fixes, où être imaginées comme transitoires. La cabane par exemple évoque ce lieu, cet espace dans lequel on se cache, on se réunit pour jouer, créer ensemble, c’est une échappatoire à l’imaginaire de la création. Cela conduira à projeter des espaces partagés qui, par leur construction, généreront des atmosphères graphiques « qui ont la capacité d’agir et faire agir [1]».
La question se pose alors du côté des conditions des activités des designers graphiques. De quelle manière repenser les relations avec les commanditaires ? Comment penser des formes d’alternances en entreprise comme des temps pour confronter ces savoirs, penser davantage collaboration que service ?
pour la Biennale de Venise un écriteau à la main de l’artiste pouvait être emporté par les visiteurs.
Bibliographie
- BIANCHINI, Samuel et COZZOLINO Francesca, « En réseau, des expériences artistiques distribuées ». FLUX Artistes, chercheurs et réseaux, no 100 (2016).
- DEWEY, John. L’art comme expérience, Trad. de l’anglais (États-Unis) Présentation de l’édition française par Richard Shusterman. Traduction coordonnée par Jean-Pierre Cometti, Collection Folio Essais n° 534, édition Gallimard, 2010
- DE SMET, Catherine. Pour une critique du design graphique. B42 éd., 2020. p.145
- COZZOLINO, Francesca. « Dessiner pour agir : graphisme et politique dans l’espace public ». Images Revues, n Hors-série 6 (2018).
- MERSCH, Dieter. Théorie des médias - une introduction. Traduit par Stephanie Baumann, Philippe Farah, et Emmanuel Alloa. Les presses du réel, 2016.
- Zask, Joëlle, Participer. Essai sur les formes démocratiques de la participation, Lormont, Le Bord de l’eau, 2011.